La convention citoyenne pour le climat place les citoyens au cœur du processus démocratique. La mise en place d’une intelligence collective efficace n’est cependant pas si simple. Revenons sur les difficultés et les enseignements que l’on peut tirer de cette expérience.
La convention citoyenne sur le climat n’est pas la seule convention citoyenne dans le monde. Les conventions citoyennes sont en effet de plus en plus nombreuses à travers le monde. De 25 conventions nationales réalisées en 2019, 40 ont été annoncées en 2020. Il faut cependant distinguer des exercices de portées très différentes, parfois simples outils de communication saupoudrés de consultation citoyenne sans réelle intégration.
Une convention citoyenne : pourquoi ici, pourquoi maintenant ?
Art. 6. La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation.
Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, 1789
La participation citoyenne trouve un premier fondement dans les textes juridiques au cœur de la République Française. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen consacre en effet dès le XVIIIe siècle le droit de concourir à la « fabrication de la loi » en France. D’autres acteurs, les représentants, se chargent cependant de ce travail : les parlementaires sont aujourd’hui les décideurs de l’adoption d’un texte législatif (sauf exception par intervention politique du gouvernement). Cette invitation à la participation citoyenne réapparaît cependant en 2004 dans la Charte de l’environnement. Comme décrite dans un autre article, cette nouvelle émergence a contribué à renforcer l’emprise des citoyens sur certains sujets politiques. Cette emprise reste encore faible.
La décision de mettre en place en 2019 cet exercice de participation citoyenne est davantage une réponse au contexte politique. L’apparition du mouvement des gilets jaunes combinée au développement de l’attention publique sur les sujets environnementaux aurait suffit à convaincre le gouvernement d’organiser cet exercice de débat. Le premier ministre donne alors mandat au Conseil économique, social et environnemental pour répondre aux attentes. La première session a lieu le 4 octobre 2019.
L’organisation complexe de la convention citoyenne pour le climat

Pouvoir de décision et indépendance
Il est tout d’abord nécessaire de garantir une certaine imperméabilité entre l’organe de délibération et les commanditaires de la convention. Ces derniers ne doivent pas exercer d’influence sur le « comité de gouvernance« , chargé d’organiser les débats. La composition du comité de gouvernance doit donc présenter des points de vue variés et pluriels afin d’obtenir une neutralité d’ensemble. Seul un accord collégial peut alors faire décision.
Le comité de gouvernance est composé d’experts du climat, de la démocratie, des enjeux économiques et sociaux, de deux personnes sélectionnées par le ministère de la transition écologique et de deux citoyens de la convention tirés au sort. Ces personnes s’expriment alors « intuitu personae », c’est-à-dire en leurs noms propres et non au nom d’organisation. Il est important de noter que ce comité ne prend pas part aux débats, laissant tout l’espace nécessaire à la discussion. Il se contente d’ouvrir et de fermer les séances. Ses décisions portent sur l’organisation du calendrier et des dépenses de logistique, une proposition de liste d’experts à auditer ainsi que l’élaboration du programme et des méthodes de travail.
Dans le cas français, non seulement les débats de la Convention n’étaient pas présidés par une seule personnalité extérieure, mais ils n’étaient pas présidés du tout : ce sont les animateurs qui étaient chargés de veiller au bon déroulement des séances de travail.
Rapport de la Convention Citoyenne pour le Climat, Terra Nova
La convention est de plus soutenue par trois garants nommés par les trois assemblées (Assemblée Nationale, Sénat et CESE). Ceux-ci veillent à la bonne tenue des débats, au respect des grands principes, et certifient la régularité des votes.
Un échantillon représentatif
Le choix des citoyens faisant partie de la convention est crucial. Il faut à la fois construire un échantillon de manière équitable et représentative. La méthode de sélection finalement retenue est la suivante : 300 000 numéros de téléphone portable sont tirés au sort, puis appelés (processus réalisé par Harris Interactive). Chaque personne dispose alors du choix de refuser de participer à la convention ; nous reviendrons sur ce point. Les personnes ayant accepté de participer font ensuite l’objet d’une deuxième sélection en fonction de 6 critères de manière à obtenir une vraie représentativité : le sexe, l’âge (16 ans minimum), le niveau de diplôme, la condition socio-professionnelle, le type de territoire, et la région de résidence.

Cette méthode crée donc un biais de sélection en ne retenant que des personnes volontaires, et donc probablement intéressées par la question du climat. Il faut en réalité nuancer ce défaut de représentativité. Ce même biais se retrouve d’abord dans toutes les autres expériences de convention dans le monde. De plus, et à titre de comparaison, à la question « Pensez-vous que le changement climatique aura des conséquences graves sur nos sociétés ? », 71% de la population française répond affirmativement, contre 76% au sein de la convention. La différence est donc plutôt faible. Enfin, aucune base légale ni constitutionnelle ne permet aujourd’hui de rendre obligatoire la participation. Ce serait cependant un moyen efficace pour réduire ce biais de représentativité.
Le rapport à l’expertise
Tout débat collectif a besoin d’un apport de connaissances précises et extérieures. Cette nécessité pose cependant la question de la « vulnérabilité » des citoyens face à l’expertise de spécialistes. Les commentateurs ont souvent évoqué le risque que les participants soient trop influencés par des idées théoriques. Il faut cependant regarder la réalité du travail qui a été réalisé, et considérer l’ensemble des mesures prises pour garantir l’indépendance d’esprit du collège de citoyens.
Tout d’abord, plusieurs groupes d’évaluateurs et de formateurs soutiennent la réflexion. Le travail des citoyens a ainsi fait l’objet d’un avis d’un panel d’académiciens de 14 membres pour tester la robustesse des idées proposées. Ce « groupe d’appui académique » rend un avis de manière collégiale et à titre indicatif, c’est-à-dire sans imposer quoi que ce soit. Les membres de la convention s’appuient sur un « comité légistique » chargé de leur transmettre les bases de l’agencement des normes (Constitution, lois, règles), et les grands principes de la rédaction des textes juridiques.
Les animateurs ont par ailleurs proposé d’autres dispositifs : la mise en place d’un groupe de fact-checkers bénévoles pouvant répondre à tout moment à des questions très factuelles pendant les auditions, une session de speed dating où chacun pouvait rencontrer rapidement un très grand nombre d’experts aux spécialités variées. Enfin, la diversité du nombre de personnes auditionnées, 136 invités au total, contribue à renforcer la pluralité des réflexions.
Un résultat exceptionnel
Les citoyens sont capables […] d’assimiler les informations fondamentales d’un sujet complexe, de répondre à une question largement ouverte et de faire des propositions applicables, proches dans leur formulation de véritables textes de loi.
Convention citoyenne pour le climat : quelques enseignements pour l’avenir, Terra Nova
Le premier point remarquable de cette convention est la vitesse à laquelle ses membres se sont appropriés le travail. Dès la deuxième session, ceux-ci ont exigés de revoir l’organisation et la liste d’invités proposée par le comité de gouvernance. De multiples groupes de débat numériques font leur apparition, des rendez-vous de discussion s’organisent le soir après le travail et le week-end. Responsabilisés, les citoyens s’emparent de la problématique à leur manière et se transforment en vrais parlementaires en herbe.
L’autre point notable concerne la progression du niveau de consensus. Comme expliqué plus haut, la diversité des profils des personnes sélectionnées ne permettait pas de prévoir l’émergence d’un haut niveau de consensus. Cependant, sur les 150 propositions finalement soumises au vote, 149 sont adoptées, dont plusieurs très contraignantes pour les citoyens eux-mêmes. Seul le passage à la semaine de 28 heures est rejeté. Parmi les propositions adoptées, 147 sont approuvées à plus de 85% des voix, le consensus est clair. A noter qu’il est possible qu’une partie de cette approbation puisse davantage être la traduction du « Oui, je veux que cette proposition soit examinée par le Parlement » que du « Oui, je veux que cette proposition soit adoptée ».
Quelles perspectives de la convention citoyenne pour le climat ?
Les citoyens de la convention préparent en ce moment la dernière session de l’exercice. Celle-ci a pour objectif de leur donner l’occasion de s’exprimer sur ce que le gouvernement a fait de leurs propositions. Seront-ils satisfaits de la qualité de la transmission au Parlement ? Une chose est sûre, aucun ne regrette sa participation au cœur d’un débat fondamental au nom de la Nation.
Les organisateurs pointent dans un rapport qu’il serait pertinent de transformer cette réussite exceptionnelle en une pratique plus régulière de la démocratie. Les sujets pourraient être l’organisation du travail, la répartition des revenus et les inégalités, la réforme de la protection sociale. Autant d’enjeux sur lesquels les citoyens auraient des choses à apporter par leurs expériences et leur travail.
Si ce dispositif n’a pas vocation à remplacer le rôle du Parlement, il y apporte cependant une complémentarité intéressante. Nos institutions font face à une hyper-défiance que seuls des exercices démocratiques de ce type pourront endiguer. Il est temps d’ouvrir les discussions, de responsabiliser et de croire en la compétence des autres.
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