Quelle place pour les conventions citoyennes ?

Cet article a été initialement publié par Terra Nova, dans la Grande conversation 2022

Inspiré de l’expérience de la convention citoyenne pour le climat (CCC), l’idée d’instituer un Parlement des citoyens a ouvert le débat sur la juste place d’un exercice de conventions citoyennes nationales récurrentes. Entamée ici par une série de contributions en dialogue[1], cette question mérite en effet une conversation à part entière à laquelle je souhaiterais contribuer par cet article.

Quelle est la nature de l’apport d’une convention citoyenne au débat public ?

Le premier aspect que je souhaiterais aborder s’inscrit dans le contexte fictif de la mise en place d’un dispositif semblable à la CCC sur un autre sujet que celui du climat, en vue de satisfaire un objectif précis. La question est alors de déterminer la nature de l’apport d’une convention citoyenne au débat public.

Ce sujet a déjà suscité une réponse de Dominique Schnapper qui considère dans son article qu’une convention citoyenne pouvait être comparée à une commission d’experts. Dans la construction d’une politique publique, la convention ne constituerait par conséquent « qu’une (petite) partie du public [à consulter], ni plus ni moins importante que les autres ». Mon analyse diffère cependant et je rejoins Thierry Pech dans son constat que ce public de conventionnés est très particulier.

Le travail d’une convention citoyenne ne peut en effet être réduit à celui d’une commission consultative. Une convention citoyenne n’est pas une commission d’experts mais un bien un groupe de personnes chargé d’émettre une contribution politique au débat public.

Cette différence fondamentale de nature de la contribution tient selon moi à la composition du panel de conventionnés et à sa légitimité à éclairer la décision publique, supérieure à celle d’autres publics. Cette légitimité particulière du mini-public tient en 4 principes :

  1. Sa représentativité descriptive: les personnes sont sélectionnées au regard de critères socio-démographiques, afin de correspondre à la population de manière descriptive. Il en découle une certaine légitimité par figuration sociale, voire par ressemblance.
  2. Sa diversité de modes de pensée: cette diversité est raisonnablement induite par le respect des critères socio-démographique, et est généralement suffisante pour garantir la qualité de la délibération et renforce les chances de son exhaustivité. Il en découle une légitimité d’autorité par la qualité du débat.
  3. Sa neutralité: les conventionnés sont en grande partie « néophytes » sur le sujet qui les rassemblent et n’ont initialement pas d’avis informé ou argumenté. Il en découle une légitimité de « neutralité ». [Ce point est crucial et se vérifie de moins en moins au cours de l’exercice, d’où l’importance de maintenir la durée de l’exercice inférieure à un certain seuil.]
  4. La symétrie entre un citoyen conventionné et un citoyen non conventionné: par l’utilisation du tirage au sort, presque tout le monde peut s’identifier et s’imaginer avoir potentiellement pu faire partie de l’exercice. Il en découle une certaine légitimité par symétrie.

Ces quatre légitimités par figuration sociale, d’autorité par la qualité du débat, de « neutralité » et par symétrie contribuent à faire de la convention citoyenne un objet fondamentalement politique.

Cette légitimité à éclairer la décision publique ne vaut pas pour autant légitimité de décider pour autrui. Elle est de nature différente de celle des parlementaires et n’impose pas mécaniquement que les recommandations produites par l’exercice soient reprises et appliquées par le gouvernement ou le Parlement. Ce dernier engagement doit donc encore être défini et tirer sa force d’une autre source.

Quel engagement du commanditaire auprès des conventionnés ?

Il s’agit donc à présent d’articuler l’exercice d’une convention citoyenne avec les autres pouvoirs existants : l’engagement du commanditaire, l’implication des parlementaires, l’appropriation de l’exercice par le reste de la population.

La première question à aborder est celle de l’engagement de l’exécutif. L’engagement du commanditaire envers la convention citoyenne est nécessaire et doit être clairement défini.

Je rejoins Thierry Pech sur la nature de l’engagement que l’exécutif devrait proposer : un engagement à répondre de manière argumentée aux recommandations formulées par les conventionnés, en justifiant le rejet de certaines mesures et en proposant des alternatives viables pour atteindre l’objectif de la politique publique initialement fixé. Je réserverais cependant pour ma part la possibilité aux conventionnés de soumettre les propositions à l’ensemble de la population dans des conditions précises que je décris ci-dessous.

Thierry Pech affirme de plus dans son article « Oui au Parlement des citoyens » que l’engagement de l’exécutif est en particulier nécessaire au bon recrutement des citoyens pour un tel exercice démocratique. Dans son article de réponse « Non au Parlement des citoyens », Gérard Grunberg répond que cette justification est insuffisante pour engager l’exécutif.

Je souhaiterais donc compléter ce qui a été proposé au sujet de la justification de cet engagement. En effet, cet engagement est moins nécessaire à la motivation de recrutement des citoyens qu’au respect des deux principes suivants : en demandant à un groupe quelconque de fournir un éclairage du débat public, le commanditaire se doit de faire honneur au travail fourni par une réponse ; si l’exécutif s’engage, d’autre part, à proposer des alternatives viables aux recommandations en cas de rejet, c’est d’abord et avant tout pour respecter son propre engagement de cohérence de son action dans le temps en répondant de manière concrète à un objectif qu’il s’était fixé lui-même.

 

Par ailleurs, afin de parfaire l’articulation d’une convention citoyenne nationale avec les pouvoirs publics existants, il paraît important  d’intégrer des parlementaires parmi les conventionnés. A condition toutefois de limiter leur nombre et d’être extrêmement vigilant sur la méthode d’animation pour garantir l’indépendance de pensée des citoyens tirés au sort.

Comment assurer que l’ensemble de la population s’approprie la délibération ?

J’aimerais enfin développer le dernier point crucial de cette articulation : l’appropriation par le reste de la population de ce dispositif. La participation de quelques centaines de citoyens sur certains grands chantiers de société ne parviendra probablement pas à résoudre les problèmes posés par la crise de notre système de représentation : à savoir, la défiance des citoyens envers nos institutions, et l’incompréhension des décisions politiques dans lesquelles la population ne se reconnaît pas.

Permettre à chacun de savoir que son avis a été porté à la convention

Deux chantiers seraient selon moi envisageables pour faire avancer la complémentarité de ce dispositif de convention citoyenne avec le reste de la population. Le premier chantier tient à la valorisation du débat des conventionnés, et surtout à la mise en lumière du processus d’évolution de leur « avis » au cours de la convention.

Nous disposons aujourd’hui d’un niveau de technologie suffisant pour réaliser un archivage exhaustif de l’ensemble des échanges, des interventions, des documents et autres vecteurs de connaissance utilisés dans les débats. Une fois cette matière récoltée, nous pourrions également l’organiser de manière cohérente et la mettre à disposition de tous par la création d’un « moteur de recherche et d’appropriation ».

Cet outil aurait pour objectif de permettre à quiconque intéressé par le sujet de la convention de déterminer si son avis a été porté au sein de la convention. Toute personne souhaitant en apprendre davantage sur un point précis du débat pourrait naviguer dans les échanges de la convention et retrouver les moments précis du processus où sa question est abordée, si elle l’a été. La personne pourrait en outre retrouver le contenu des débats qui s’en seront suivis, les ressources ayant tenté de répondre à la question, les arguments proposés dans ce cadre ainsi que la position finalement adoptée par les conventionnés. L’objectif final serait que chacun puisse sentir que sa compréhension du problème posé « a été portée dans la convention citoyenne ».

Etendre le débat à l’ensemble de la population

Le deuxième chantier tient à l’appropriation de certaines questions de société par un débat national. Thierry Pech inclut cette idée dans sa réflexion en proposant l’alternance dans le temps d’un débat national, puis d’une convention citoyenne. Dans son livre Le Parlement des citoyens, il  cite notamment les exemples de la « Great conversation » précédant la convention écossaise, et le forum participatif précédant l’assemble constituante islandaise. A la suite de ce débat national, « un travail de synthèse des contributions serait réalisé au terme de la séquence participative et remis ensuite aux conventionnels pour servir de base à leurs discussions »[2].

Cet agencement présente cependant selon moi certains risques. Concernant le positionnement politique des conventionnés, il me semble tout d’abord difficile pour des citoyens tout juste tirés au sort d’oser s’affranchir d’une position reprise par plusieurs milliers de personnes. La synthèse pourrait en ces termes faire force d’autorité. Elle pourrait de plus être utilisée comme source de délégitimation des conventionnés, qui ne seraient alors plus si particuliers, car plus les seuls « citoyens ordinaires » à réfléchir sur la question politique. Enfin, comme certains praticiens ont pu le constater, la présentation aux conventionnés des contributions en ligne effectue naturellement un effet de cadrage de la réflexion (« framing »), qui réduit le champ des possibles de la réflexion et nuit à la qualité du débat. Ce dernier risque est d’autant plus néfaste que le cadrage provient d’une base d’avis potentiellement non informé sur la question, et probablement biaisé dans la diversité des contributions (groupes d’influence).

J’aimerais par conséquent formuler une proposition alternative à l’articulation du travail des conventionnés avec le reste de la population. Ma proposition serait tout d’abord de donner la possibilité à la convention citoyenne de soumettre certaines propositions au débat public national. Les propositions soumises au débat feraient l’objet d’un processus délibératif à grande échelle avec comme éléments de cadrage les recommandations de la convention citoyenne. Ce débat serait organisé sur une période précise, de quelques mois par exemple, conclue par un vote référendaire.

Ce vote référendaire vérifierait cependant certaines conditions, à l’instar de ce qui a pu se faire en Colombie-Britannique ou en Irlande. Le référendum devrait rassembler une participation suffisante pour être considéré comme valide, le seuil restant à déterminer. Les propositions seraient de plus traitées différemment selon leurs taux d’approbation au référendum, selon trois cas de figures séparés par des seuils d’approbation :

  • Au-dessus d’un « seuil de fort soutien populaire »: l’application de la recommandation serait directe
  • Au-dessus d’un « seuil intermédiaire de soutien populaire » : la recommandation serait transmise au Parlement
  • En-dessous d’un « seuil de faible soutien populaire » : la proposition serait rejetée.

Cette proposition fait ainsi précéder le référendum (ou préférendum d’ailleurs) d’un débat national, dont le cadre mental est défini par les recommandations de la convention citoyenne, prévenant certains risques liés à cet exercice populaire.

Le Parlement serait par conséquent inclus dans le processus à plusieurs niveaux : membres de la convention, réception des recommandations non soumises au vote transmises par l’exécutif, réception des recommandations ni adoptées ni rejetées par le référendum.

Conclusion

Même si son coût serait élevé, un tel exercice serait probablement capable d’initier une véritable respiration démocratique de nos institutions et serait selon moi tout à fait pertinent pour débloquer certains sujets à fort caractère controversé : la réforme des retraites, la question de l’héritage, la production de l’énergie, …

Enfin, si un tel dispositif constituait un progrès démocratique indéniable, il ne résoudrait pas à lui seul la crise de nos institutions. Celle-ci attend une réponse plus large et ambitieuse d’implication des citoyens à toutes les échelles de décision, dans la production de politique publique comme dans leur évaluation.  Cette réponse reste encore à mettre en œuvre, et commencera probablement à voir le jour à l’échelle locale.

Références

[1] Dominique Schnapper, Un Parlement qui n’en est pas un, https://www.telos-eu.com/fr/un-parlement-qui-nen-est-pas-un.html

Thierry Pech, Oui au Parlement des citoyens, https://tnova.fr/democratie/nouvelles-pratiques-democratiques/oui-a-un-parlement-des-citoyens/

Gérard Grunberg, Non au Parlement des citoyens. Réponse à Thierry Pech, https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/non-au-parlement-des-citoyens-reponse-a-thierry-pe.html

Thierry Pech, Les conventions citoyennes, instruments d’une démocratie d’interaction, https://tnova.fr/democratie/nouvelles-pratiques-democratiques/les-conventions-citoyennes-instruments-dune-democratie-dinteraction/

Yves Sintomer, Un Parlement des citoyens pour la démocratie du 21e siècle, https://tnova.fr/democratie/nouvelles-pratiques-democratiques/un-parlement-des-citoyens-pour-la-democratie-du-21e-siecle/

[2] Thierry Pech, Le Parlement des citoyens. La Convention citoyenne pour le climat, Paris, Le Seuil/La République des idées, 2021.

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