Rojava, idéal démocratique ou simple utopie ?

Au beau milieu du désert de Syrie, se tient aujourd’hui une région autonome indépendante du régime Syrien : le Rojava. Il y a moins de dix ans, cet espace était ravagé par la violence de l’Etat islamique. Aujourd’hui, le Rojava a mis en place une organisation politique démocratique, paritaire et pluraliste. La région maintient ce modèle depuis 2014 et rassemble aujourd’hui plus de 6 millions d’habitants. Le constat peut surprendre ! Comment la promesse d’une organisation progressiste peut-elle se réaliser concrètement dans une zone au passé très lourd et encore menacée par l’insécurité ?
La Syrie et le Rojava au Proche-Orient

L’émergence du Rojava

Commençons tout d’abord par quelques rappels historiques sur le Rojava. Entre 2011 et 2012, de nombreux mouvements critiques du régime syrien de Bachar Al-Assad émergent en Syrie. C’est le cas du Parti de l’Union Démocratique (PYD), parti Kurde syrien démocrate et anarchiste. La dégradation de l’équilibre politique du pays lui permet de s’émanciper progressivement et de construire une région  autonome dans le Nord-Est de la Syrie.

Le pays se déchire alors dans une guerre civile opposant le régime et l’opposition, puis dans la lutte contre l’Etat islamique. Le PYD consolide pendant ce temps petit à petit sa légitimité en proposant aux populations libérées un cadre apaisé. La branche armée du parti, composée à plus de 40% de femmes, assure la sécurité de la zone. Elle comporte d’ailleurs une branche exclusivement féminine, le YPJ. Pour les fans de la série Le Bureau des Légendes, vous vous souviendrez peut-être de cette combattante kurde de qui Raymon Sistéron tombe amoureux. Elle fait partie de cette armée Kurde, libératrice de la région et soutien indispensable des pionniers du Rojava.

Esrin Gunei et Raymon Sisteron, Le Bureau des Légendes – Saison 3

Le Parti de l’Union Démocratique aurait pu choisir d’imposer la création d’un Kurdistan dans les zones libérées. Au contraire, il promeut la construction d’une région autonome, intégrante des populations locales dans leur diversité culturelle. Au Rojava, ces populations locales sont sur un pied d’égalité avec les populations Kurdes. L’insurrection remporte rapidement l’adhésion jusqu’à la proclamation officielle de l’émancipation de la région en 2013, et l’instauration d’un Contrat Social le 29 janvier 2014.

L’organisation politique hors du commun du Rojava

L’organisation politique de la région autonome du Rojava rivalise amplement avec nos démocraties européennes. La région est divisée en trois cantons (Cezie, Kobané et Afrin). Chacun de ces cantons est doté d’une assemblée législative et d’un organe exécutif appelé gouvernement central. Ces organes de représentation sont constitués de délégués rotatifs à mandats limités et révocables. Tout le monde peut ainsi être amené à occuper une de ces fonctions : c’est un modèle inédit de participation citoyenne ! Pour les questions de niveau fédéral (à l’échelle de la région entière), les cantons dialoguent avec un gouvernement autonome et un conseil démocratique syrien. Chacune de ces institutions est composée d’au moins 40% de femmes, dans les postes de simples exécutants comme dans les postes décisionnaires. La parité est bel et bien institutionnalisée !

Conseil de décision au Rojava - Entrez dans la vie publique
Les femmes autant représentées que les hommes dans les lieux de pouvoir du Rojava

Le Rojava revendique  de plus un pluralisme culturel reconnaissant trois langues officielles : le Kurde, le Syriaque et l’Arabe. Les manuels scolaires sont ainsi édités dans les trois langues. Les enfants suivent la langue de leur choix pendant les premières années de leur scolarité, avant de suivre une autre langue plus tard.

Sur le plan international enfin, le Rojava demande une reconnaissance comme région autonome sans se présenter comme un Etat. Le commissaire (délégué) aux affaires étrangères, Abdul Karim Omar, affirme ainsi « nous ne sommes pas un Etat, nous sommes une administration autonome ». L’Etat ne semble ainsi plus utile à cette organisation décentralisée. Seules certaines questions fédérales et internationales nécessitent une organisation légère à l’échelle de la région, les autres questions étant traitées au plus près des citoyens.

La flamme qui risque de s’éteindre à tout moment

Si le Rojava connaît une organisation structurée, stable et sécurisée, la région reste cependant fortement menacée. Son fléau principal : la Turquie et son président. En 2018, la Turquie a purement et simplement annexé  le Nord de la Syrie et le canton d’Afrin. Cette agression militaire chasse alors plus de 300 000 personnes. Une deuxième agression survient en 2019 en envahissant une autre partie de la région autonome au Nord-Ouest.

En plus de ces deux offensives retentissantes, la Turquie impose un embargo international. Ce dispositif militaire empêche la région d’accéder à des pièces mécaniques nécessaires au bon fonctionnement des véhicules et autres machines. En amont du fleuve de l’Euphrate, la Turquie se permet également de construire de multiples barrages et de rediriger l’eau du fleuve vers de nouvelles cultures en en réduisant fortement le débit. On se demande alors combien de temps la petite région autonome du Rojava pourra tenir dans ces conditions très défavorables.

Plus sur le Rojava

Au cours de mes recherches sur le sujet, j’ai trouvé deux documentaires particulièrement clairs et intéressants. Le premier est cet excellent documentaire d’une vingtaine de minutes posté par Arte : Rojava, La révolution par les femmes, réalisé en 2018, que je vous recommande vivement. J’ai trouvé les témoignages de ces femmes extrêmement touchants. Quelle expérience que d’avoir fait volte-face sur tant de principes autoritaires en si peu d’années !

Je vous recommande également ce documentaire, plus complet mais également moins neutre sur le plan politique : Rojava, une utopie au cœur du chaos syrien réalisé en 2017.

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